vendredi 15 août 2014

La guerre de Troie n'aura pas lieu - Jean Giraudoux.



L'auteur :



Jean Giraudoux, (1882 - 1944) de son nom complet Hippolyte Jean Giraudoux, est un diplomate et écrivain français. Soldat pendant la première guerre mondiale, il occupa après la guerre la fonction de diplomate, tout en écrivant ses ouvrages. Il s'est notamment illustré dans l'écriture de pièces de théâtre dont les plus connues demeurent : Électre, Amphytrion 38 et La guerre de Troie n'aura pas lieu.


Emprunt médiathèque.





Quatrième de couverture :

Hélène, enlevée par Pâris, est réclamée par les Grecs. Mais la plupart des Troyens, fascinés par sa beauté, refusent de la rendre. D'âpres négociations s'ensuivent. Les partisans de la paix l'emporteront-ils ? Avec cette relecture de la mythologie antique, Giraudoux s'adresse aussi à ses contemporains : en 1935, la Première Guerre mondiale est encore dans les mémoires. Et la pièce, qui interroge le caractère éternel des conflits armés, fait surgir la menace d'une nouvelle tragédie, peut-être imminente.

Mon avis :

Je cherchais, ces derniers temps, quelques lectures que je pourrais compter pour le challenge Grèce antique, or, je n'avais plus lu de pièces de théâtre depuis un moment et l'Antiquité grecque, ce n'est pas ça qui manque chez les pièces de théâtre, qu'elles soient antiques ou plus contemporaine. 

J'ai choisi ce titre, que je connaissais déjà pour l'avoir plusieurs fois croisé dans la blogosphère. Initialement, je croyais que l'auteur avait revisité le mythe grec de la guerre de Troie et que cette œuvre racontait comment la guerre de Troie avait pu être évitée et comment la situation évoluait pour les personnages, alors que la catastrophe avait été évitée. En réalité, je me suis aperçue au fil de ma lecture que: oui, l'auteur a bien revisité ce mythe, et que, non, ce livre ne nous plonge pas dans un univers où la guerre a été évitée mais dans lequel des personnages essayent de l'éviter, pour le bien de tous. Parmi eux, et avant tout, Hector, prince de Troie et frère du petit inconscient qui s'est dit que ce serait une bonne idée de piquer la femme du roi Mélénas, soit la belle Hélène.

Hector m'a beaucoup plu comme personnage. Au début de la pièce, il rentre à peine d'une guerre lorsqu'il revient à Troie et apprend que sa femme attend son enfant, et que Pâris a emmené Hélène à Troie. Je l'ai trouvé très sage, très pacifiste, sensé, proche de sa famille, c'est lui le premier qui tente de faire bouger les choses, de persuader Hélène de rentrer en Grèce, et par des mots légers et un peu d'humour, il évoque des thèmes très profonds comme la guerre, le genre humain et sa façon de fonctionner, le pacifisme, le destin, la fatalité. À l'inverse, son frère Pâris nous est présenté comme un amant jaloux et possessif, un jeune homme léger, irresponsable. Andromaque, épouse modèle dans l'acte I, se manifeste davantage dans l'acte II en essayant de persuader Hélène de partir ou au moins d'aimer Pâris, histoire que ça justifie au moins la guerre car Hélène n'aime pas Pâris. Autant dire que c'est presque par caprice, et non par amour, qu'elle l'a suivie à Troie.

À l'inverse, je n'ai eu aucune empathie pour Hélène. Elle n'est pas écrite de façon à attirer la sympathie, et ma sympathie elle ne l'a pas. Elle est ici décrite comme une femme manipulatrice, qui fait comme si elle obéissait à Pâris (elle fait ce qu'il lui dit de faire, dit ce qu'il lui dit de dire), alors qu'elle se sert en réalité de la faiblesse des hommes à son égard. Qu'il y ait la guerre à cause d'elle, elle n'y accorde guère d'importance. Ce qui l'intéresse, c'est de voir comment vont évoluer les choses alors qu'elle choisit de demeurer à Troie. Elle est désirable et irrésistible et elle le sait, elle en profite, elle joue sur sa beauté. Pour certains à Troie (les femmes), Hélène n'apporte rien et n'apportera rien que des ennuis mais pour d'autres (le roi Priam, Pâris, les vieillards), il faut garder Hélène, pourquoi la rendre aux Grecs puisqu'elle se plaît à Troie ? Tous se pâment devant elle et Hélène joue et profite de son charme. C'est assez dérisoire de voir Priam et les vieillards se pâmer devant Hélène... ça l'est moins quand on sait que Priam est roi et que les vieillards font parti du conseil de Troie... ça s'annonce mal pour la cité antique !

Cet ouvrage, c'est aussi une véritable réflexion sur la guerre. Il faut savoir que Giraudoux a écrit cette pièce en 1935, durant l'entre deux guerres, à l'époque où la menace d'une nouvelle guerre gronde et que pourtant, on cherche à l'éviter, ou on ne fait rien pour l'empêcher d'arriver. Comme dans les années 1930. L'Europe est tendue, Hitler agite le continent, le monstre nazi s'approche mais personne ne fait rien et les gouvernements d'Europe laissent venir la catastrophe. Ici, deux camps s'opposent : les pacifistes (Hector, les femmes de Troie) et ceux qui veulent garder Hélène, quitte à se battre contre les Grecs (Priam, le conseil, Pâris, les intellectuels). Chacun cherche à faire passer l'autre dans son camp. Mais évidemment, on finit par se douter que l'instinct destructeur des hommes va finir par prendre le dessus et que la guerre se fera, au mépris des conséquences. Il y a un véritable parallèle entre la guerre de Troie et la seconde guerre mondiale. Giraudoux a vécu la première guerre mondiale et il a ré-adapté le mythe de la guerre de Troie en s'inspirant de l'entre deux guerres et les prémisses de la seconde guerre mondiale. Il nous montre les ressemblances, et elles sont flagrantes, on sent très bien que Giraudoux s'inspire de son époque.

Cette pièce offre une réflexion très intéressante sur la guerre, sur le prix de la guerre, sur l'illusion de l'héroïsme. Le thème de la guerre ouvre et ferme la pièce, il la rythme. Les pacifistes cherchent à l'éviter, mais au final, il y a cette réflexion sur l'être humain, et comment la guerre est constitutive de l'être humain, dans le langage ou même le désir, l'auteur fait d'ailleurs un parallèle entre la guerre et le désir, d'ailleurs c'est d'autant plus flagrant car il y a cet extrait assez révélateur où la petite Polyxène demande à sa mère à quoi ressemble la guerre, et sa mère, Hécube, lui répond: « à ta tante Hélène ».

Malgré ces réflexions sur la guerre, j'ai eu l'agréable surprise de trouver un peu de comique dans cette pièce, notamment lors des passages mettant en scène les épithètes, où nos personnages s'entraînent à s'envoyer des insultes car insulter quelqu'un, c'est le provoquer, et c'est ce qu'il faut s'il faut se préparer à la guerre. Or, les Troyens s'avèrent moins doués dans ce domaine que les grecs, alors ils s'entraînent à se trouver les pires insultes pour provoquer l'autre et l'inciter au duel (un peu du style: « Mais voyons Pâris, trouve mieux que ça ! Cherche ce qui peut m'atteindre ! Quels sont mes défauts à ton avis ? » et Pâris de répondre à Demokos « Tu es lâche, tu as l'haleine fétide et tu n'as aucun talent ! » ce à quoi, Demokos lui répond avec amour « Tu veux une gifle, sale gamin ? » puis Pâris « Je dis ça pour te faire plaisir, tu sais... »). 

Au final, ce qui devait arriver arriva : la guerre de Troie va avoir lieu, et ce par la volonté (ou plutôt le caprice) des dieux de l'Olympe : Aphrodite, déesse de l'amour, jure que si Grecs et Troyens cherchent à séparer Pâris et Hélène, la guerre aura lieu – Athéna, déesse de la guerre et de la sagesse, dit que si personne ne cherche à séparer le couple et à rendre Hélène aux Grecs, la guerre aura lieu – et Zeus, roi de l'Olympe, raconte qu'il faut séparer Pâris et Hélène tout en ne les séparant pas, et que les négociateurs doivent faire en sorte qu'il n'y ait pas la guerre, sinon Zeus jure qu'il y aura la guerre (un peu contradictoire le bonhomme et difficile à satisfaire mais à l'époque, si tu essayes de contester la volonté du dieu, tu te prends un éclair en pleine tronche ou une vie de misère pourrie par les dieux de l'Olympe. Toute divinité au mauvais caractère puisse-t-il être, c'est jamais bon de mécontenter le roi de l'Olympe et dieu de la foudre !)


Mais au final, j'ai été surprise par cette pièce de théâtre. L'auteur a su mélanger mythe et modernité avec brio, avec une écriture moderne, avec des métaphores et de nombreuses références ; le parallèle qu'il fait sur la seconde guerre mondiale, l'entre deux guerres et la guerre de Troie est vraiment intéressant à découvrir, ça permet de comprendre l'époque et les mentalités de l'époque durant laquelle a été écrite cette pièce. C'est une pièce brillante, intéressante à découvrir, je serais curieuse de lire les autres pièces de l'auteur !

Extrait :

LE GÉOMÈTRE. Avant de se lancer leurs javelots, les guerriers se lancent des épithètes... Cousin de crapaud, se crient-ils ! Fils de bœuf... Ils s'insultent, quoi ! Et ils ont raison. Ils savent que le corps est plus vulnérable quand l'amour-propre est à vif. Des guerriers connus pour leur sang-froid le perdent illico quand on les traite de verrues ou de corps thyroïdes. Nous autres Troyens manquons terriblement d'épithètes. [...]

DEMOKOS. Adopté ! Nous leur organiserons un concours dès ce soir.

PÂRIS. Je les crois assez grands pour les trouver eux-mêmes.

DEMOKOS. Quelle erreur ! Tu les trouverais de toi-même, tes épithètes, toi qui passes pour habile ?

PÂRIS. J'en suis persuadé.

DEMOKOS. Tu te fais des illusions. Mets-toi en face d'Abnéos et commence.

PÂRIS. Pourquoi Abnéos ?

DEMOKOS. Parce qu'il prête aux épithètes, ventru et bancal comme il est.

ABNÉOS. Dis donc, moule à tarte !

Acte II, scène 4.

Ce billet est une participation aux :


3 commentaires:

  1. Très jolie et très pertinente analyse sur La Guerre de Troie n'aura pas lieu...
    Cette pièce de théâtre avait été un véritable coup de coeur pour moi !
    Par contre, j'avais complètement oublié la scène du concours d'épithètes !! :)
    Merci pour ce très beau billet qui me donne envie de replonger dans cet ouvrage !!

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    1. Merci Parthenia :) cette oeuvre m'a beaucoup intéressée par certains aspects, notamment entre les parallèles entre la guerre de Troie et l'entre deux guerres, j'en aurais parlé davantage mais après, cette chronique aurait été trop longue, et je me serais perdue dans les détails.

      Ah moi, le concours d'épithètes m'a marqué, il FALLAIT que j'en parle car cette scène est assez cocasse et honnêtement, je ne m'étais pas attendue à trouver de l'humour dans cette pièce.

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  2. Je viens de lire la pièce et comme toi je l'ai beaucoup aimée ! J'aime beaucoup la façon dont tu détailles les personnages dans ta chronique d'ailleurs, ils m'ont personnellement moins marquée. Je reconnais en tout cas que Hélène peut être assez agaçante, mais je l'ai trouvée plutôt drôle !
    Comme toi j'ai bien envie de découvrir d'autres pièces de Giraudoux, je pense d'ailleurs me lancer dans la lecture d'Electre très bientôt !
    Bises

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